Killers of the flower moon

Quatre années, quatre longues années, depuis le dernier long métrage du dieu vivant Scorsese… Sept si l’on considère que la sortie de The Irishman uniquement sur Netflix le prive du statut de « vrai » long-métrage, et même dix si l’on estime que Silence était quand même un peu trop perché.

Bref, le petit génie italo-américain nous avait manqué. Cerise sur le gâteau, il réunit enfin (hors publicité) ses deux chouchous De Niro et DiCaprio.


Impossible de le nier, alors autant le dire tout de suite : c’est LOOOOOOOONG. Malgré toutes les qualités de ce film, que je vais développer ci-après, 206 minutes c’est très long. The Irishman l’était plus, mais j’étais dans mon canapé. J’aime mon canapé.

Pour autant, me suis-je ennuyé ? Oui et non. Non car chaque plan est plus beau que le précédent et que l’intrigue se dévoile petit à petit, oui car je n’ai pu m’empêcher de me dire ci ou là que le maestro aurait pu couper un peu plus au montage. Mais bon soyons réalistes : à 80 ans et avec sa filmographie, personne ne va lui dire comment monter son film et à quelle durée se limiter (ni lui demander de traduire son titre !). Et c’est parfait ainsi.


L’histoire vraie de cette tribu indienne qui a su tirer son épingle du jeu de la prospection pétrolière, jusqu’à dominer économiquement les blancs, est fascinante en soi. Les jeux de manipulation et de violence qu’ont su en tirer Eric Roth et Scorsese sont brillants.

Si au début j’ai cru être gêné par l’opposition manichéenne entre notre héros blanc, pantin benêt et cupide, versus la belle indienne sage et mesurée, je suis sorti du film en me demandant si le personnage de Leo était vraiment le simple exécutant de son oncle (De Niro) ou un vrai méchant… Je vous laisse vous faire votre avis ; tout le génie du scénario réside selon moi autour de cette question.

Enfin le film ne serait que peu de chose, et je pèse mes mots, sans le charisme fou de Lily Gladstone. Encore une sacrée révélation par le réalisateur. Sans surprise, les face-à-face entre De Niro et DiCaprio sont tous des petits moments de génie.


En bref, le plus grand succès de ce film est de vous faire oublier sa durée par la qualité et la densité de son contenu. A voir au cinéma, bien entendu.


The Card Counter

Paul Schrader est peut-être un réalisateur inconstant, mais c’est un putain de dieu du scénario : Yakuza, Taxi Driver, Obsession, Raging Bull et La Dernière Tentation du Christ. Rien que ça.

Du coup je vois un nouveau film, produit par Scorsese, avec Oscar Isaac en tête d’affiche et un titre évoquant le monde des casinos : j’y vais, banco !


Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un film biiiiiiiiien plus profond que ça, presque un thriller psychologique avec en stars Oscar et le plus si jeune Tye Sheridan, établissant le lien improbable entre jeux de cartes et les tristement célèbres évènements d’Abou Ghraib.

Ce qui est devenu un traumatisme national est ici le parcours de notre héros, qui croise la route d’un jeune aux problématiques similaires…


Au risque de perdre certains spectateurs, Shrader parvient à zigzaguer pour échapper à toutes les classifications mais toujours en mettant à l’honneur les comédiens notamment via la très belle photographie de l’inconnu (ou presque) Alexander Dynan.

Un film étonnant, à découvrir a priori uniquement pour ceux qui ne paient pas 14,80 euros par séance.

PS : un grand MERCI pour ce titre non traduit.

The Card Counter

The Irishman [Netflix Only]

Je n’ai pas vu Silence (est-ce grave docteur ?), et je n’ai pas aimé Le loup de Wall Street. Mais quand Netflix donne carte blanche à un des plus grands réalisateurs vivants, qui plus est dans le genre iconique qu’il a partiellement créé (le film de mafia italo-américaine) et avec son casting historique : l’attente est E N O R M E.

D’autant que la liberté du géant était totale : 160 millions de dollars de budget, nouvelle technologie rajeunissante assez dingue (voir ci-après), déroulement complet du générique sur la plateforme, et même un petit bonus fascinant de 20 minutes avec le réalisateur et les 3 comédiens principaux autour d’une table. Seule chose où a priori Netflix n’a pas flanché, le titre du film ; cependant Scorsese maintient le (génial) titre du livre originel à l’écran, I heard you paint houses.

Alors on s’accroche, on pose sa journée parce que 3h29 (+ 20 minutes de bonus) ça fait long, et on serre les fesses parce qu’on a peur d’être déçu quand même.

 

Premier choc, voir Robert De Niro et Joe Pesci rajeunis. Si la technique, utilisant des repères visuels sur les comédiens et trois caméras parallèles sur chaque axe, est très impressionnante (lire cet article, parmi d’autres), elle demeure néanmoins un peu gênante pour des acteurs dont on a autant vu vieillir les visages. Je vous en laisse juges mais malgré mon amour pour Bob, je n’aurai pas été gêné non plus d’avoir deux comédiens pour un personnage. En effet le même Bob a bien joué Marlon Brandon jeune sans que cela ne choque personne…vous me direz, pas évident de trouver des « jeunes » ressemblant ET au niveau !

Scorsese explique assez justement, dans le bonus susmentionné, que nous avons appris à accepter les conventions du maquillage pourtant parfois très visibles. Probablement allons-nous nous habituer à ce nouveau procédé, qui signe de facto le prolongement de carrière de quelques légendes…

Ce qui m’a vraiment dérangé cependant, et à en croire cet article je ne suis pas le seul, ce sont les yeux bleus du personnage principal. Sur les gros plans notamment, ses yeux de cyborg éclipsent totalement ses expression faciales pourtant si justes. Dommage, car pas indispensable.

 

Parlons peu, parlons bien, parlons casting : MAGISTRAL. Robert De Niro est au sommet de A à Z, et la scène clé du film est pour moi d’ores et déjà une des plus grandes performances de tous les temps. Rien de moins.

Joe Pesci, sorti de la retraite anticipée (pas grand chose depuis…Casino, avec le même réalisateur en 1995) par celui-là même qui l’a révélé quarante ans auparavant dans Raging Bull, prouve à nouveau toute l’étendue de son talent. 76 ans, et toujours une justesse folle.

Al Pacino endosse sans pression et à merveille le rôle peut-être le plus difficile car le plus connu et médiatisé de son vivant, l’emblématique Jimmy Hoffa. Les duels sont évidemment épiques, notamment face à Pesci qui les craignait grandement (voir le bonus sur Netflix).

Les seconds rôles enfin, de Harvey Keitel badass au possible à Ray Romano ou encore Bobby Cannavale, sont autant de références (parmi d’autres, notamment musicales) et d’hommage au Parrain, aux Sopranos, et à tout l’univers de la mafia à Hollywood.

 

Et le relevé de notes de Scorsese au final ? A l’image rien d’extravagant, souvent gêné dans les dialogues par la quantité massive de caméras nécessaires à l’effet « rajeunissant » ; un plan moyen, un serré, et basta. Dans l’action en revanche, le maestro domine évidemment son sujet…les (nombreuses) scènes d’exécution sont incroyables. Les quelques effets visuels sont sans fioritures, simples et efficaces.

La narration est tout simplement brillante, entre récit de fin de vie du héros interprété par De Niro et allers-retours dans le passé ; la vie de ces trois hommes illustrant tout un pan de l’histoire politique (peu glorieuse) des Etats-Unis.

 

Malgré sa durée a priori rédhibitoire, Martin Scorsese parvient à nous emmener dans une véritable saga qui n’a rien à envier aux plus grand classiques tels Le Parrain ou Il était une fois en Amérique.

Malgré une fin un peu longuette, un peu « sentimentale » sur son dernier plan, on ne peut s’empêcher d’être ému par ce temps passé avec Frank Sheeran.

Bravo Monsieur Scorsese.


A Beautiful Day

A beautiful day…étrange adaptation du titre original You were never really here, plus évocateur et clin d’œil au I’m still here déjanté de Casey Affleck ; probablement trop peu compréhensible pour les gaulois.

Le marketing du film parle d’un Taxi Driver…le raccourci est assez simple, car basé uniquement sur des éléments bien précis de l’histoire (marginal, ancien militaire, brute au bon cœur qui sauve une jeune fille) qui ne font pas l’essence du long-métrage. S’il n’est pas exempt de défauts, contrairement au chef d’oeuvre de Scorsese, ce quatrième long de Lynne Ramsay (à qui l’on devait déjà l’excellent We need to talk about Kevin) a le mérite comparatif d’être beaucoup plus libre, inclassable, et même plus graphique.

 

Le scénario, relativement contemplatif jusqu’à la moitié du film où les « affaires » commencent, est extrêmement bien ficelé (mais ne méritait peut-être pas le Prix du Scénario à Cannes) ; en revanche la réalisation, elle, est d’une justesse et d’une fraîcheur qui aurait pu rafler la Palme d’or si Ruben Östlund n’était pas déjà passé par là. Les effets, les tableaux, la lumière, la mise en scène…un petit régal.

 

Joaquin Phoenix, un de mes acteurs préférés et un des rares dont la filmographie soit encore immaculée (soyez sympa, on pardonne Signes), est tout simplement magnétique. Il porte intégralement l’interprétation du film, avec toute la finesse et la force brute (quelle intensité dans ce regard !) dont il simultanément capable, épisodiquement épaulé par la jeune et talentueuse Ekaterina Samsonov.

Un prix d’interprétation à Cannes pas volé pour un sou, qui vient s’ajouter tout de même à trois nominations aux Oscars, une Coupe Volpi à Venise et un Golden Globe. A quand l’Oscar ?

 

Le score de Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead, est tout à fait à la hauteur en termes d’intensité.

 

Saluons enfin le fait que ce film soit une coproduction française menée par Why Not Productions, une des boîtes françaises les plus ambitieuses et une des seules à pouvoir porter des projets de cette ampleur et de cette qualité (comment ça j’essaie de me faire embaucher ? C’est faux !).

 

A voir absolument.

martin