Civil War

Trois jours. J’ai pour une fois pris mon temps pour digérer ce film : une petite claque.

Auteur du livre La Plage puis scénariste du cultissime 28 jours plus tard, personne n’est trop surpris par la qualité d’Ex Machina en 2014, première réalisation d’Alex Garland. Et depuis…et bien rien de fou fou. Comme quoi prendre son temps a du bon.


Le titre et même la bande-annonce m’ont laissé croire que j’allais voir un film d’action, de guerre et d’anticipation politique ; avec Nick Offerman en président des Etats-Unis, plein d’explosions partout et des trumpistes qui prennent le pouvoir. Alors qu’en fait, il n’en est rien.

Ce film réussit l’exploit d’être à la fois : un road trip post-apocalyptique, un roman d’apprentissage, une ode aux reporters de guerre (avec un bémol, cf. plus bas), ET une suite d’images à la beauté saisissante.


Le rythme est un chef d’oeuvre d’équilibre à lui seul : entre beauté contemplative et action arme (appareil photo) au poing, Garland n’a de cesse de vous emmener là où il veut, puis à l’opposé. Le dosage est parfait, sauf à la fin et nous y reviendrons.

Bien que trop souvent évoquée dans les divers médias, il faut avouer que l’unique scène avec Jesse Plemons restera gravée dans vos mémoires et a grandement participé à mon état d’hébètement post-séance. Performance moins brève, la jeune Cailee Spaeny est quant à elle LE pari gagnant de ce casting.


Seul bémol majeur de ce film, le final. Sans trop vous divulgâcher, vous vous doutez bien que tout ça finit mal…on aboutit alors à un moment d’action Michael Bay-esque un peu lunaire où les reporters de guerre deviennent à moitié soldats. Pas sûr que les intéressés apprécient cette image de leur métier, qui consiste bien souvent à prendre le moins de risque possible pour eux comme pour les autres.


Bien loin de la dystopie d’action anti-Trump vendue par la bande-annonce, Civil War nous offre le film le plus original et rafraichissant de cette année 2024 et mérite sans aucun doute un créneau dans votre week-end pluvieux.


Le jeu de la Reine

Je n’ai pas vu Alicia Vikander depuis fort longtemps et, n’ayant jamais regardé Les Tudors, je ne connaissais pas la folle histoire de la sixième et ultime femme du fameux Henri VIII. L’éternel Jude Law dans le rôle dudit roi fut donc la troisième bonne raison d’aller voir ce film d’un réalisateur brésilien qui m’était inconnu, Karim Aïnouz.


Ecartons tout de suite le seul gros défaut de ce film, et c’est à reprocher au distributeur ARP Sélection, habituellement étranger à ce genre de crime artistique : la traduction bas de gamme du titre original, Firebrand. Au-delà de la vacuité abyssale de ce titre français, la proximité avec le nom d’une série Netflix sur une joueuse d’échecs est franchement putassière…


Outre cette légère note de déception, quel bon moment ! Bien content de découvrir au fil de l’intrigue la vie mouvementée de l’héroïne : je me suis complètement laissé porter par ce qui n’est rien de moins qu’un thriller psychologique à la cour du Roi (l’affiche est d’ailleurs très parlante à ce sujet).

Si Jude Law et les nombreux seconds rôle sont de premier choix (notamment Sam Riley et Eddie Marsan), les deux facteurs déterminants de la qualité de ce long métrage sont la performance cinq étoiles de l’actrice suédoise (que j’ai fait l’erreur de ne presque plus suivre après Ex Machina, soit près de dix ans !) et un score d’une fraîcheur rare.


J’ai en somme été agréablement surpris par ce film d’un genre auquel je suis peu attaché, qui s’est avéré être à la fois un intéressant rappel historique et un véritable manifeste féministe.

A voir !


Daaaaaalí !

Depuis quelques années, j’ai trouvé le Dupieux un peu en dent de scies ; moi qui en était si friand depuis près de quinze ans. Avais-je grandi ou le réalisateur s’était-il un peu reposé sur ses acquis et son propre style ? Un peu des deux.

Mais tout ça était pardonné par avance dans l’attente de son grand projet de toujours, le messianique Daaaaaaalí ! Alors, ça vaut quoi ?


Comme si le sujet rejoignait le réalisateur, c’est un pur concentré d’absurde et de surréalisme : effets de narration réussis (type Au Poste !), gags visuels cocasses (bien que pour la plupart, pour ne pas dire tous, divulgâchés par la bande-annonce), comique de répétition, etc. La montée en puissance se fait gentiment jusqu’à un splendide bouquet final de vingt minutes où l’on ne sait plus où se trouve la véritable narration : plaisir suprême.

Je ne suis en revanche pas fan du principe des quatre acteurs pour le même personnage de Dali : cela n’apporte rien au film, si ce n’est de nous prouver qu’Edouard Baer et Jonathan Cohen sont bien au-dessus des deux autres, JoCo étant même par instants troublant de ressemblance avec l’espagnol.


Ajoutez à cela un unique thème très efficace signé Thomas Bangalter et un Romain Duris délicieusement odieux, et vous obtenez le meilleur Dupieux depuis…Incroyable mais vrai. Ce qui ne fait pas si longtemps finalement. Il faut dire qu’avec Chabat, tout est mieux.

En somme, donc, le retour du très bon pour le réalisateur mais pas non plus le film providentiel que l’on aurait attendu toute sa carrière.


La Zone d’intérêt

Après le perturbant Birth et le déroutant Under the skin (euphémisme, je cherche encore le sens caché de ce film), le britannique Jonathan Glazer change tout à fait de registre en racontant le quotidien de Rudolf Höss et sa famille, installés de par les fonctions du monsieur dans une charmante maison fleurie accolée…au camp d’Auschwitz.


Si la narration du film stricto sensu est un peu légère, en somme s’il ne se passe franchement pas grand chose, tout l’objet du film tient dans le défi de narrer l’Holocauste sans jamais le montrer via le quotidien de ses artisans les plus dévoués.

C’est notre traumatisme collectif en tant qu’êtres humains qui crée de toute pièce l’ambiance sordide de ce film pourtant sans violence ni musique pour nous prendre émotionnellement par la main. Ainsi chaque cri, chaque pleur, chaque colonne de fumée au lointain nous fait frissonner.

Toute la maestria de ce film est là : le temps a pu me paraître long face à ce petit quotidien domestique sans intérêt, mais chaque rappel du contexte est un uppercut dans le foie.


Le final est magistral, mais je ne saurais en retranscrire le génie sans vous gâcher le plaisir.

Un film pas parfait, mais sans aucun doute une addition notable au devoir collectif de mémoire dont l’Art sera toujours le meilleur vecteur.


Dream Scenario

Ah, si Nicolas Cage m’était conté ! Neveu d’une légende vivante du Cinéma, entouré d’artistes, carrière fulgurante, puis déclin sans fin depuis 2007 et Ghost Rider (LE tournant)…à quand le Birdman de Nicolas Cage ? Peut-être aujourd’hui…


On peut véritablement parler d’un scénario à concept, et quel concept : un quidam réalise progressivement que des inconnus de plus en plus nombreux rêvent de lui sans jamais l’avoir rencontré.

Qui dit film à concept dit risque d’écriture un peu light. Il n’en est rien ici, le jeune réalisateur norvégien ayant pris le parti d’un visuel assez arty, et d’un rythme plutôt lent bien loin des comédies formatées. On ne peut d’ailleurs pas véritablement parler de comédie, tant l’expérience est déroutante et les vannes finalement assez peu présentes (n’en déplaise au Hollywood Reporter sur l’affiche ci-dessous).

On peut plutôt parler d’une critique à peine dissimulée de l’hyper connectivité, des réseaux et de la notoriété éphémère sous la forme d’un conte. Cage y excelle en anti-héros archétypal : calvitie à la Zizou, bedaine proéminente, aucune confiance en soi, en bref…LE raté.


La gloire involontaire et la chute brutale de ce Mr. Nobody font le sel de ce petit bonbon produit par A24, comme très souvent depuis 2020 !


Napoléon

Que ne disais-je donc en conclusion de mon billet sur Le dernier duel : « Vivement le prochain ». Ces mots ont pris tout leur sens lorsque j’ai appris que l’immense Ridley Scott s’attaquait à un des mythes les plus portés sur grand écran, qui plus est une des légendes du roman national français.

Et pourtant, très vite, critiques et amis sont venus ternir mon excitation : le film passerait à côté de son sujet, « même pas beau », et j’en passe…


L’avantage des désastres annoncés, c’est que l’on a pu s’y préparer. Première note : je n’ai pas passé un mauvais moment. Les costumes sont splendides, Joaquin Phoenix est comme toujours l’un des plus grands acteurs de sa génération (malgré un personnage limité, nous y reviendrons), et enfin les batailles sont quand mêmes sacrément impressionnantes (notamment Austerlitz, qui m’a un peu consolé du manque de baston dans le dernier film susmentionné).

J’ai, même (trop) brièvement, retrouvé ce que j’aime chez le britannique : des batailles de peplum avec dix mille figurants en vue aérienne, des chevaux à gogo, du combat rapproché bien sanglant, etc. C’est décidé, je me refais Gladiator en sortant (et ce fut fait).


Malheureusement, là n’est ni le propos du film ni la volonté du réalisateur…et c’est bien le problème. Ce qui passionne Scott, et apparemment la version longue à venir en témoignera, c’est la relation de Napoléon avec Joséphine. Et c’est probablement le film qu’il aurait dû tourner.

Cependant ce film a aussi voulu faire de l’action (pour ne pas décevoir les fans du réalisateur un peu teubés, dans mon genre), mais aussi dénoncer le « tyran » que fut l’empereur (via une ambigüe et ridicule liste de morts en fin de film, dont la précision historique semble aussi douteuse que l’intrigue du film elle-même), etc, etc…


A poursuivre trop de lièvres, Ridley Scott n’en attrape aucun si ce n’est celui d’avoir ravivé brièvement ma passion pour lui.

Ce « short cut » de 2h30 n’aurait jamais du exister ! 150 minutes pour raconter la vie d’une légende, 150 minutes qui permettent à peine d’effleurer tous ces personnages qui ont tant contribué à l’Histoire de France qu’ils ont tous au moins une station de métro à leur nom, 150 minutes à l’ère des séries et de la soit-disant liberté grandissante des réalisateurs « confirmés » (cf. Killers of the Flower Moon) : ce n’est pas normal.


Que l’on soit français ou non, avoir de grandes exigences face au biopic d’un si grand homme est légitime. Je ne jetterai pas tout au feu comme certains, disons plutôt que je demeure optimiste vis-à-vis du director’s cut annoncé.

A suivre…


The Killer [Netflix Only]

Le géant David Fincher nous refait le coup de la sortie uniquement sur Netflix, après un Mank (2020) alambiqué mais globalement positif.

J’ai cédé à la gigantesque campagne sur les réseaux, et me suis laissé tenté dans mon canapé. Alors, ça vaut quoi ?


J’ai beau avoir mes deux charentaises sous le plaid et une tisane dans les mains, je suis immédiatement happé. Les vingt premières minutes sont une montée en puissance dans le plus pur style de l’américain, qui nous plonge directement dans le bain. Génial.

Cette entrée en matière est d’ailleurs presque trop bien, car pendant deux heures j’ai attendu que la qualité soit la même…en vain. Hormis un combat rapproché ultra proprement chorégraphié et une petite critique de l’omniprésence de la technologie qui aide les plus malfaisants d’entre nous, je n’ai trouvé que peu d’intérêt à ce long-métrage.


C’est bien pour Netflix, certes ; mais c’est plus que moyen pour du Fincher. Je me suis au moins épargné un déplacement en salles, franchement inutile en dehors des vingt premières minutes susmentionnées.

Allez David, arrête un peu de cachetonner pour Ted Sarandos et refais-nous du Cinéma !


Killers of the flower moon

Quatre années, quatre longues années, depuis le dernier long métrage du dieu vivant Scorsese… Sept si l’on considère que la sortie de The Irishman uniquement sur Netflix le prive du statut de « vrai » long-métrage, et même dix si l’on estime que Silence était quand même un peu trop perché.

Bref, le petit génie italo-américain nous avait manqué. Cerise sur le gâteau, il réunit enfin (hors publicité) ses deux chouchous De Niro et DiCaprio.


Impossible de le nier, alors autant le dire tout de suite : c’est LOOOOOOOONG. Malgré toutes les qualités de ce film, que je vais développer ci-après, 206 minutes c’est très long. The Irishman l’était plus, mais j’étais dans mon canapé. J’aime mon canapé.

Pour autant, me suis-je ennuyé ? Oui et non. Non car chaque plan est plus beau que le précédent et que l’intrigue se dévoile petit à petit, oui car je n’ai pu m’empêcher de me dire ci ou là que le maestro aurait pu couper un peu plus au montage. Mais bon soyons réalistes : à 80 ans et avec sa filmographie, personne ne va lui dire comment monter son film et à quelle durée se limiter (ni lui demander de traduire son titre !). Et c’est parfait ainsi.


L’histoire vraie de cette tribu indienne qui a su tirer son épingle du jeu de la prospection pétrolière, jusqu’à dominer économiquement les blancs, est fascinante en soi. Les jeux de manipulation et de violence qu’ont su en tirer Eric Roth et Scorsese sont brillants.

Si au début j’ai cru être gêné par l’opposition manichéenne entre notre héros blanc, pantin benêt et cupide, versus la belle indienne sage et mesurée, je suis sorti du film en me demandant si le personnage de Leo était vraiment le simple exécutant de son oncle (De Niro) ou un vrai méchant… Je vous laisse vous faire votre avis ; tout le génie du scénario réside selon moi autour de cette question.

Enfin le film ne serait que peu de chose, et je pèse mes mots, sans le charisme fou de Lily Gladstone. Encore une sacrée révélation par le réalisateur. Sans surprise, les face-à-face entre De Niro et DiCaprio sont tous des petits moments de génie.


En bref, le plus grand succès de ce film est de vous faire oublier sa durée par la qualité et la densité de son contenu. A voir au cinéma, bien entendu.


El Conde [Netflix Only]

Qu’il est bon de nous rappeler, à intervalles réguliers, que Netflix a pour mission première de proposer des contenus originaux, impensables ailleurs, et pas uniquement des blockbusters d’action ratés ou le fond du panier de la comédie française (belle concurrence d’Amazon sur ce terrain, il faut l’avouer).

Nous sommes ici en plein dedans, en permettant à un réalisateur « connu » de proposer un pur délire : l’histoire, en noir et blanc, d’un vampire dictateur nommé…Augusto Pinochet.


Malgré quelques longueurs, le cocktail est fatal : humour, plans léchés, et beaucoup de second degré pour faire d’un des pires dictateurs de l’histoire un personnage attachant.

Tout n’est pas parfait, mais Pablo Larraín a clairement pu donner libre cours à son talent en dehors de son registre habituel du biopic.

Alors une seule chose à dire, chapeau Netflix !


Yannick

Comme c’était déjà le cas à la sortie du mitigé Fumer fait tousser, n’a-t-on pas un peu l’impression que Quentin Dupieux se force à faire ses deux long-métrages par an au risque de perdre en qualité ? La question est légitime, quand bien même cette « baisse de qualité » serait à mettre sur le dos de la préparation de Daaaaaali !, projet plus ambitieux.


Cette logorrhée cinématographique de qualité inégale est d’autant plus ironique pour ce nouveau film, Yannick, dont on nous dit que le réalisateur aurait esquissé l’idée pendant la projection cannoise de Fumer fait tousser qui lui aurait rappelé le « décalage » entre le spectateur moyen et le cinéma d’auteur.

Ironie décidément maximale que de dénoncer ce décalage par un film de 65 minutes, dans un pays où le coût moyen de la place avoisine les 10 euros et la durée de publicité les 20 minutes. Dénonce ce que tu veux Quentin, mais ton public reste un public de gros bobos parisiens.


Gros problème dès le début : je n’ai jamais supporté le style (notamment la diction) ni la présence de Raphaël Quenard, qui tient ici le premier rôle et qu’on risque de voir pendant longtemps (sept films en 2023 !).

Me voilà irrité d’entrée, et je passe donc une bonne demi-heure à ne pas comprendre les rires qui m’entourent ; sensation excessivement désagréable que je pensais réservée aux « Clavierades » et auxtres Ch’tis.


La deuxième partie du film me surprend un peu plus, laisse plus de place à un Pio Marmaï en jambes, pour finir sur un petit moment de grâce dont le réalisateur a le secret bien gardé.

Alors, arnaque totale ou juste nouvelle petite flemme de Quentin Dupieux ? Arnaque de « dénoncer » son propre gagne-pain et flemme ostensible illustrée par un film au scénario limité, dans le huis-clos d’un théâtre parisien, et avec un casting sans surprise.