Napoléon

Que ne disais-je donc en conclusion de mon billet sur Le dernier duel : « Vivement le prochain ». Ces mots ont pris tout leur sens lorsque j’ai appris que l’immense Ridley Scott s’attaquait à un des mythes les plus portés sur grand écran, qui plus est une des légendes du roman national français.

Et pourtant, très vite, critiques et amis sont venus ternir mon excitation : le film passerait à côté de son sujet, « même pas beau », et j’en passe…


L’avantage des désastres annoncés, c’est que l’on a pu s’y préparer. Première note : je n’ai pas passé un mauvais moment. Les costumes sont splendides, Joaquin Phoenix est comme toujours l’un des plus grands acteurs de sa génération (malgré un personnage limité, nous y reviendrons), et enfin les batailles sont quand mêmes sacrément impressionnantes (notamment Austerlitz, qui m’a un peu consolé du manque de baston dans le dernier film susmentionné).

J’ai, même (trop) brièvement, retrouvé ce que j’aime chez le britannique : des batailles de peplum avec dix mille figurants en vue aérienne, des chevaux à gogo, du combat rapproché bien sanglant, etc. C’est décidé, je me refais Gladiator en sortant (et ce fut fait).


Malheureusement, là n’est ni le propos du film ni la volonté du réalisateur…et c’est bien le problème. Ce qui passionne Scott, et apparemment la version longue à venir en témoignera, c’est la relation de Napoléon avec Joséphine. Et c’est probablement le film qu’il aurait dû tourner.

Cependant ce film a aussi voulu faire de l’action (pour ne pas décevoir les fans du réalisateur un peu teubés, dans mon genre), mais aussi dénoncer le « tyran » que fut l’empereur (via une ambigüe et ridicule liste de morts en fin de film, dont la précision historique semble aussi douteuse que l’intrigue du film elle-même), etc, etc…


A poursuivre trop de lièvres, Ridley Scott n’en attrape aucun si ce n’est celui d’avoir ravivé brièvement ma passion pour lui.

Ce « short cut » de 2h30 n’aurait jamais du exister ! 150 minutes pour raconter la vie d’une légende, 150 minutes qui permettent à peine d’effleurer tous ces personnages qui ont tant contribué à l’Histoire de France qu’ils ont tous au moins une station de métro à leur nom, 150 minutes à l’ère des séries et de la soit-disant liberté grandissante des réalisateurs « confirmés » (cf. Killers of the Flower Moon) : ce n’est pas normal.


Que l’on soit français ou non, avoir de grandes exigences face au biopic d’un si grand homme est légitime. Je ne jetterai pas tout au feu comme certains, disons plutôt que je demeure optimiste vis-à-vis du director’s cut annoncé.

A suivre…


Nos âmes d’enfants

En guise de préambule deux informations : – oui, nous sommes face à un nouvel exemple de traduction dégueulasse et réductrice de titre (le titre original étant C’mon C’mon)

– oui j’y suis allé uniquement pour Joaquin Phoenix, qui ne m’a à ce jour jamais déçu


Mike Mills est un réalisateur de clips léchés donc le format est original (1.66 : 1, plus étroit que le 16:9) et l’image est en noir et blanc. Le ton arty est donné.

On débarque dans une relation frère/soeur semble-t-il marquée par le long déclin maladif de la mère, puis dans la gestion par Phoenix de son neveu interprété par le brillantissime Woody Norman. Du haut de ses 11 ans, il parvient à porter tout un film par la finesse de son jeu et en maquillant son accent britannique naturel. Dingo ce petit.


Naturellement quelques passages très new age sur le développement personnel de l’enfant font un peu Psychologies Magazine rubrique parents ; mais quelle beauté par ailleurs !

La fragilité de cet enfant « particulier » et de son oncle tout aussi spectateur de sa vie (il parcourt les Etats-Unis pour demander aux jeunes leur vision du futur), confrontée aux foules dénudées de Venice Beach ou aux gratte-ciels de New-York, déteindra forcément un peu sur vous.


Une petite pépite pour zonards des multiplexes, cinéphiles souvent engourdis par la répétition mais qui voient leur lumière ravivée au hasard de telles surprises.

C'mon C'mon movie large poster.

Light of my life

Casey Affleck, il est difficile de le croire, a rigoureusement le même âge que Joaquin Phoenix. Ils ont d’ailleurs collaboré dans la première réalisation long format d’Affleck. Révélé légèrement plus tard que le Joker, le frère de Batman a néanmoins décroché son Oscar trois ans plus tôt avec le sublimissime Manchester by the sea.

Auréolé de cette consécration il présente sa « véritable » première réalisation, le susmentionné I’m still here étant par définition un objet filmique très (trop ?) particulier.

 

Dès le début le ton est donné avec une lonnnnngue séquence de dialogue entre le père et son enfant, installant doucement mais sûrement le fait qu’il s’agit d’une fille dans un monde (pas si loin de celui de Les fils de l’homme) où toutes les femmes ont disparu… La suite élargira petit à petit ce contexte global, à savoir un monde « semi » post-apocalyptique car en reconstruction sociale mais encore invivable pour une fille survivante…

Le rythme est indéniablement lent, bien plus que dans Sans un bruit par exemple, mais cela ne fait que mieux servir les rares scènes de tension et notamment la fin au summum du stress.

 

Le réalisateur et scénariste parvient à livrer un post-apo arty : comme La Route en plus sophistiqué, aux images plus léchées. De par son minimalisme, la performance d’Affleck marque encore plus que celle de Viggo (et pourtant Dieu sait que je l’aime !) ; bien appuyée il faut le dire par la bluffante Anna Pniowsky dans le rôle de la fameuse petite fille.

En bref pas un film à prix ni dont on se souviendra dans des décennies, mais une promesse encourageante pour les futures réalisations de celui qui s’est déjà imposé comme un (très) grand comédien.

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Joker

18 jours sans salle obscure, 10 depuis la sortie de ce film à la hype plus que monumentale : Lion d’Or 2019, critiques élogieuses (Les Cahiers du Cinéma qui apprécient un comic movie, WTF ?), et surtout plus personnellement un acteur que j’adule. Je bous.

Alors, déchaînement des foules mérité ? Oui et non. Oui car les scenarii originaux à Hollywood ne courent plus les rues, oui car ce film sort au bon moment dans le monde qui est le notre, non car ce n’est rien de plus qu’un très bon film. Et peut-être, et surtout diront certains, parce que je doute que ce film eût reçu le même succès s’il n’était (même qu’à titre accessoire) inspiré de l’univers Batman. Ce qui est fort dommage, car le propos du film dépasse largement l’homme chauve-souris.

 

Certains idiots ont osé parler d’apologie de la violence, quelle bêtise. Probablement les mêmes qui veulent interdire les jeux-vidéos qui « rendent » violents, mais pas les armes…

Ce film nihiliste, ou plutôt anti-système (bien que produit par…la Warner), arrive à point nommé dans le monde des Trump, Johnson, et de nos chers gilets jaunes. Ce ne sont pas les films ou la culture qui font les Jokers, mais bien la société qui les a abandonnés.

C’est là le mérite premier de ce film : l’inversion de point de vue. Thomas Wayne n’est plus le gentil self-made man auquel nous sommes habitués, mais un riche aux ambitions politicardes et méprisant le petit peuple ; l’asile d’Arkham n’est plus le repère des tueurs en séries psychotiques, mais juste le refuge des âmes perdues.

Les actions du personnage principale ne sont pas excusables, ses mobiles peut-être un peu plus…

 

Trêve de philosophie, on veut du fait cinématographique brut. Tout d’abord une très belle photographie, surprenante à la fois pour le réalisateur (Todd Phillips) habitué aux comédies potaches et pour son directeur de la photographie, Lawrence Sher, dont la filmographie n’est pas exactement une collection d’oeuvres d’art (hormis Garden State). Chapeau bas, donc.

Ensuite un casting seconds rôles de très très haut niveau : De Niro, Frances Conroy, Shea Whigham, Glenn Fleshler…que des têtes très connues et de grand talent.

Un score brillant signé Hildur Guðnadóttir, notamment les titres « Meeting Bruce Wayne » et « Bathroom Dance », et quelques chansons soigneusement sélectionnées participent au climat anxiogène et à la lente montée en puissance du long-métrage.

Mais enfin, évidemment, la performance impeccable de Joaquin Phoenix. Certains diront que la folie n’est pas toujours la chose la plus difficile à incarner, qu’il aillent… Quelle justesse dans ce rôle on ne peut plus attendu, ancré dans l’imaginaire collectif, et déjà porté par d’immenses comédiens. C’est tout simplement JUSTE.

 

Si rien de mieux n’est fait d’ici là, l’Oscar du meilleur acteur sera mérité (comme pour les trois dernières nominations de Phoenix…). Le film quant à lui, est un appel à la rébellion qui résonne avec l’air du temps.

Hollywood n’est peut-être pas définitivement perdu ; la prochaine fois, nous sommes en mesure de l’espérer, la « béquille » d’un super-héros ne sera pas nécessaire.


A Beautiful Day

A beautiful day…étrange adaptation du titre original You were never really here, plus évocateur et clin d’œil au I’m still here déjanté de Casey Affleck ; probablement trop peu compréhensible pour les gaulois.

Le marketing du film parle d’un Taxi Driver…le raccourci est assez simple, car basé uniquement sur des éléments bien précis de l’histoire (marginal, ancien militaire, brute au bon cœur qui sauve une jeune fille) qui ne font pas l’essence du long-métrage. S’il n’est pas exempt de défauts, contrairement au chef d’oeuvre de Scorsese, ce quatrième long de Lynne Ramsay (à qui l’on devait déjà l’excellent We need to talk about Kevin) a le mérite comparatif d’être beaucoup plus libre, inclassable, et même plus graphique.

 

Le scénario, relativement contemplatif jusqu’à la moitié du film où les « affaires » commencent, est extrêmement bien ficelé (mais ne méritait peut-être pas le Prix du Scénario à Cannes) ; en revanche la réalisation, elle, est d’une justesse et d’une fraîcheur qui aurait pu rafler la Palme d’or si Ruben Östlund n’était pas déjà passé par là. Les effets, les tableaux, la lumière, la mise en scène…un petit régal.

 

Joaquin Phoenix, un de mes acteurs préférés et un des rares dont la filmographie soit encore immaculée (soyez sympa, on pardonne Signes), est tout simplement magnétique. Il porte intégralement l’interprétation du film, avec toute la finesse et la force brute (quelle intensité dans ce regard !) dont il simultanément capable, épisodiquement épaulé par la jeune et talentueuse Ekaterina Samsonov.

Un prix d’interprétation à Cannes pas volé pour un sou, qui vient s’ajouter tout de même à trois nominations aux Oscars, une Coupe Volpi à Venise et un Golden Globe. A quand l’Oscar ?

 

Le score de Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead, est tout à fait à la hauteur en termes d’intensité.

 

Saluons enfin le fait que ce film soit une coproduction française menée par Why Not Productions, une des boîtes françaises les plus ambitieuses et une des seules à pouvoir porter des projets de cette ampleur et de cette qualité (comment ça j’essaie de me faire embaucher ? C’est faux !).

 

A voir absolument.

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Inherent Vice

Il y a trois ans sortait The Master, un film qui ne pouvait laisser indifférent: délire bobo prétentieux ou pur génie, nous ne savions pas trop. C’était indéniablement maîtrisé, culotté, et porté par des acteurs au sommet de leur talent. Paul Thomas Anderson est de retour, et c’est encore une perle.

Ce nouveau film est une enquête totalement loufoque, entre Tintin et The Big Lebowski. Impossible en effet de ne pas penser au chef d’œuvre des frères Cohen, face à un hippie perdu interprété par mon grand amour Joaquin Phoenix (avec des rouflaquettes, oui oui). On a même une scène culte, un peu comme celle où The Dude rencontre son homonyme; ici un discussion surréaliste avec une mère ex-toxico. Les 148 minutes du film passent tranquillement, de scène comique en scène magnifiquement érotique (vous verrez bien laquelle), jusqu’à une fin paisible.

Ah les années 70…hippies, drogue, le président Nixon… Toute cette esthétique, et une photographie de génie (signée Robert Elswit, comme celle de There will be blood, autre succès d’Anderson) font de Los Angeles la plus belle ville du monde à vos yeux.

Et ce casting, ce casting ! C’est bien simple, Phoenix ne fait que des pures merveilles depuis Walk the line. Je suis amoureux de lui depuis Gladiator, je l’aime et je l’aimerai. Pour les seconds rôles, la liste est glorieuse: Josh Brolin comme on ne l’a jamais vu, c’est-à-dire complètement barré; Owen Wilson, Benicio Del Toro et Reese Witherspoon… Premier rôle féminin, l’inconnue ou presque Katherine Waterston est absolument magnétique (voir notamment ladite scène de sexe…incroyable).

 

Au final je peux enfin me prononcer sur Paul Thomas Anderson, j’en suis certain: c’est un pur génie. De toute façon un réalisateur qui prend comme muse mon Joaquin !

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Her

La salle est minuscule dès sa première semaine, les bande-annonces sont celles de films « d’auteurs » ou en tout cas ils ne sont pas grand public: aucun doute, nous allons bien voir un nouveau Spike Jonze. Je suis déjà acquis à la cause: un mix entre Simone d’Andrew Niccol et Two Lovers de James Gray, le tout réalisé par MONSIEUR Dans la peau de John Malkovich/Max et les Maximonstres…wow !

Pour une fois, je n’ai pas été déçu; c’était exactement ça. En sus des réflexions (fascinantes au demeurant) sur le paradoxe d’une communication croissante et d’un individualisme à son apogée ou sur les limites de l’intelligence artificielle, c’est avant tout une belle histoire de personnes, de caractères, d’introspection (les « OS » se transformant en véritables psychanalystes) et de vues sur le monde.

Accessoire mais néanmoins indispensable, l’anticipation futuriste selon Jonze est intéressante: règne de la commande vocale et de l’oreillette, projecteurs 3D et services de lettres personnalisées; l’humour, simple et efficace comme on peut l’aimer, est joliment amené. Chapeau.

Casting: besoin de peu de mots pour exprimer la qualité de la prestation de Joaquin Phoenix, un de mes acteurs préférés (ex æquo avec Russel Crowe), comparable à celles de The Master ou du Two Lovers précité; Scarlett Johansson, que je ne porte pas forcément dans mon cœur, est ici un choix vocal idéal pour le « personnage » de Samantha le système d’exploitation (sa voix suave, son rire reconnaissable entre mille…belle inspiration du réalisateur!); Rooney Mara, plus belle que jamais, est parfaitement crédible en amour perdu; enfin, et ce pour la première fois (les habitués de ce blog auront pu le remarquer), j’ai apprécié la prestation d’Amy Adams ! C’est vous dire à quel point j’ai été porté par ce film…

 

La fin est si belle…que cet article n’en mérite pas.

PS: Golden Globe et Oscar du meilleur scénario bien mérités (Hourra !).

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The Master

Très attendu car préalablement récompensé (notamment à la Mostra de Venise) et encensé par la critique, ce film se révèle (un peu à la manière d’un Terrence Malickavant tout basé sur la psychologie des personnages et un soin exceptionnel apporté à la photographie.

Sur cette-dernière, je ne peux que vous enjoindre à aller le découvrir par vous mêmes !

Sur les personnages, en revanche: Philip Seymour Hoffman, aussi excellent que dans le Truman Capote qui lui a valu un Oscar, joue le leader un peu gourou d’un mouvement qui s’apparente carrément à une secte (« The Cause ») et qui regroupe entre autres toute sa famille. Arnaqueur sans aucun doute, il n’est cependant pas dénué d’un certain talent de psychanalyste qui se révèle notamment face au personnage complexe interprété par Phoenix.

Ce-dernier, justement, est absolument exceptionnel et mérite largement les lauriers qui lui sont régulièrement offerts depuis ce come-back. Par la gestuelle, les mimiques, les réactions violentes, Joaquin Phoenix invente un personnage que l’on croit cerner au début du film puis que l’on perd complètement. La Guerre dans le Pacifique lui a laissé de nombreuses séquelles, en premier lieu desquelles un alcoolisme notoire et une obsession permanente des femmes et du sexe. Puis, au fil du film et via des scènes d’une densité incroyable avec le gourou, on découvre un homme dans l’attente d’un amour suspendu mais littéralement à la recherche d’un père et d’une liberté perdue…contradictions qui aboutissent en fin de film à un nouveau départ, seul.

Les seconds rôles, quand à eux, font un sans faute: Amy Adams en femme sous emprise ou Rami Malek (aka Snafu dans The Pacific) en gendre fidèle.

Chaque plan est magnifique, travaillé jusqu’au moindre détail et sublimé par le choix osé d’un format rare (70mm). Paul Thomas Anderson confirme avec brio le talent découvert (par moi, en tout cas) avec There will be blood.

Ce film est tellement sublime que j’ai complètement oublié d’être attentif aux similitudes supposées avec la Scientologie…c’est vous dire.

 

A voir absolument, ne serait-ce que pour tenir le débat quand on en parlera encore dans dix ans.

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